Même si nous étions de nature opposée
Ordi et moi avons rapidement sympathisé.
Nos débuts furent empreints de cordialité
Premiers pas vers l’amitié.
Je me souviens de ma joie
Lorsque j’ai installé Ordi chez moi.
Avec son consentement
Je choisis le meilleur emplacement.
Un coin calme, bien éclairé,
Température modérée.
Tout près du lampadaire
À l’abri des courants d’air…
Tôt le matin, la tête encore dans les étoiles,
Ordi s’affaire sur sa toile.
D’un geste précis et tendre
Il s’applique à l’étendre
La lisser, la lustrer, l’étirer
Tout en prenant soin de ne pas la déchirer.
Grâce à son expérience
Et à son infinie patience
J’ai acquis facilement les connaissances
Permettant de jouer sur le clavier avec aisance.
Quelques clics par-ci
Et je visite l’Asie
Quelques clics par-là
Et je suis transporté aux pieds de l’Himalaya.
Quelques touches effleurées avec précaution
Et je suis emporté dans le tourbillon de la Révolution.
Si mes doigts prennent une autre direction
Je renais en pleine Restauration.
Longtemps j’ai cru qu’Ordi était à mon service
Toujours prêt à obéir au moindre de mes caprices.
Aux commandes de ma tablette
Je fendais les flots d’internet
Je voguais sur la toile
En plein vent, à pleines voiles…
Jusqu’au jour où j’ai réalisé
Que de nous deux, c’était lui le plus avisé.
Il tirait les ficelles
J’étais sous sa tutelle.
Dans le langage des informaticiens
Je suis devenu un lien
Lié à d’autres liens
Par d’étranges flux aériens.
J’ai perdu la face
Je suis confiné dans un rôle d’interface,
Je ne suis plus qu’un misérable spot
Tout au plus un hot spot,
Un nœud sur la trame, un point,
Ni plus, ni moins.
Sous mon œil médusé
Sans que je puisse m’y opposer,
Des informations mensongères
Des publicités délétères
Transitent
Sur mon site.
Me voilà prisonnier d’un réseau câblé
Qui, sur un rythme endiablé,
N’aspire qu’à grandir, à enfler
Comme un vulgaire soufflé.
Je me console en pensant qu’un jour viendra
Où le soufflé, bouffi d’orgueil, explosera
Comme les bulles finissent par éclater
À force de se dilater.
Ce sera une explosion de gaieté
Par un beau jour d’été.